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Regards croisés : Put your soul on your hand and walk, de Sepideh Farsi

Adam Maury et Clara Lamaison

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Extrait de Put your soul on your hand and walk

Crédits photographiques : Rêves d'eau Productions

Sepideh Farsi a échangé via WhatsApp avec la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna. Put your soul on your hand and walk compile notamment ces appels vidéo qu'a filmés Sepideh Farsi. 

Dans cet article nous avons choisi d'utiliser les différentes orthographies possibles pour Fatma Hassouna, aussi appelée Fatima ou Fatma Hassona. 

Les passages écrits par Adam Maury sont en rouge, et ceux écrits par Clara Lamaison en vert.

Cette année, les grands festivals européens ont été le théâtre des débats sur le conflit à Gaza et la cause palestinienne, avec de nombreuses mobilisations et la diffusion de divers documentaires sur la Bande de Gaza.

The Voice of Hind Rajab, réalisé par Kaouther Ben Hania et coproduit par Rooney Mara, Joaquin Phoenix et Brad Pitt, a ainsi été présenté à la Mostra de Venise, tandis qu’autour des salles de cinéma des manifestations ont eu lieu pour dénoncer un génocide.

À Cannes, c’est Put your soul on your hand and walk de Sepideh Farsi, qui a été choisi pour la sélection ACID, alors qu’une tribune signée par Pedro Almodovar, Hafsia Herzi ou encore Susan Sarandon appelait à “briser le silence du monde de la culture” sur ce qui se passe à Gaza, et dénonçait la mort de Fatma Hassouna qui aurait été “prise pour cible” par l’armée israélienne. 

Un témoignage cru sur l’horreur de la guerre et sa mise à distance

Ce titre long vient de Fatima Hassouna, qui a parfois du mal avec l’anglais mais choisit ces mots avec précaution. Cette phrase un peu énigmatique, presque poétique, c’est pour traduire le courage nécessaire pour sortir quand à tout moment on peut mourir sous les bombardements.

Put your soul on your hand and walk, c’est un long dialogue sur ce courage, la mort et comment l’appréhender, le sentiment de solitude et d’abandon des Palestiniens. Mais entre Sepideh Farsi, une cinéaste iranienne exilée en France, et Fatima Hassouna, une photographe palestinienne qui documente la guerre à Gaza, c’est aussi un dialogue d’images.

Put your soul on your hand and walk s’impose dans l’actualité comme un film essentiel dans la compréhension des horreurs qui se jouent à Gaza depuis octobre 2023. On pourrait pourtant s’interroger sur la façon dont un documentaire, quasiment exclusivement composé d’échanges téléphoniques entre la réalisatrice Sepideh Farsi et Fatma Hassouna, jeune photographe palestinienne à Gaza, peut réellement parvenir à transmettre l’ampleur de la violence exercée par l’armée israélienne sur le peuple gazaoui. Cette question de la distance est d’ailleurs posée pendant tout le film puisque le spectateur et la réalisatrice elle-même sont tenus à l’écart de la scène où la tragédie se joue. Sepideh Farsi décide ici de faire le maximum en son pouvoir pour s’informer et nous tenir informés malgré l’impossibilité d’en témoigner avec ses yeux et sa caméra, décidant ainsi d’incarner un intermédiaire entre la population palestinienne et le reste du monde.

Consciente de son rôle d’intermédiaire, elle rappelle à plusieurs occasions que celle qui est sur le terrain, celle qui met sa vie en jeu et qui témoigne n’est pas elle mais Fatma. Ainsi, les parenthèses que la réalisatrice place au cours des appels (en allant ouvrir la porte à son chat ou en allant fermer sa fenêtre) et qui pourraient paraître indécentes sont en réalité autant de rappels de son statut de spectatrice impuissante et de la distance qui la sépare de Gaza.

Le film est construit sur plusieurs appels-vidéo entrecoupés par des extraits de journaux télévisés. Tout est assez artisanal, Sepideh Farsi n’utilisant qu’une petite caméra de poche pour filmer ses entretiens. 

Comme le souligne Adam, cette façon de filmer met une certaine distance entre ce qui se joue à Gaza, notre réalité et celle de la réalisatrice. Même si cela se justifie par des limites techniques (Sepideh Farsi n’ayant pu se déplacer elle-même dans la Bande de Gaza), on peut s’interroger sur « l’irruption » du quotidien de la réalisatrice dans ce documentaire centré sur Fatima Hassouna. 

C’est un parti pris qui peut diviser, bien que parler de voyages ou de chats puisse en partie atténuer la souffrance exposée dans le film, ou en tout cas ne pas avoir un film totalement pesant pour le spectateur.

Un film artisanal

La façon dont Sepideh Farsi se sert de sa caméra est essentielle dans la démonstration du gouffre qui sépare les spectateurs du drame de Gaza.

Filmé au téléphone portable, le documentaire nous montre des images en mouvement avec une caméra instable, des zooms approximatifs sur des écrans d’ordinateur ou de téléphone et des effets de flou. Rudimentaire, ce style signale constamment la distance avec le terrain.

Tout ce que nous pouvons voir et savoir de cette guerre se fait à travers des écrans et cela, la réalisatrice ne manque pas de nous le rappeler. Le contraste en est alors d’autant plus grand lorsque surgissent à l’écran les photographies prises par Fatma Hassouna. Fragments précieux des vies menacées à Gaza, elles font l’objet d’une attention particulière quand elles sont présentées, accompagnées des bruits de bombardements ou de la voix chaleureuse de Fatma Hassouna au détour d’un chant à la guitare. Seules images directes de Gaza dans le film, elles seules sont présentées proprement et presque solennellement.

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“[...]Si je meurs, je veux une mort bruyante, je ne veux pas être dans une dernière actualité, ni dans un nombre avec un groupe, je veux une mort que le monde entendra, un impact qui restera dans le temps, et une image intemporelle qui ne peut être enterrée par le temps ou le lieu.” Fatma Hassona

Crédits photographiques et source : Compte Instagram de Fatma Hassona (@fatma_hassona2)

Un sentiment d'échec du documentaire

Put your soul on your hand and walk est donc, malgré sa volonté de donner la parole aux Gazaouis et en dépit de son statut rare de témoignage de la guerre à Gaza, le constat d’un échec.

Échec à entrer sur le territoire palestinien pour en rapporter l’horreur, échec à venir en aide à Fatma Hassouna et à son peuple, échec aussi à retranscrire la situation vécue par la photographe dans toute son ampleur en tant que spectateur distant.

La mort de la jeune photographe au sourire rayonnant apparaît à la fin du film comme un dernier signe de cet échec.

Si le documentaire apparaît comme un testament historique essentiel à regarder, il n’est toutefois pas exempt de critiques. Là où j’aurais tendance à défendre le choix de la réalisatrice de garder au montage les scènes dans sa maison où elle s’occupe de ses chats comme une volonté de mieux marquer le contraste entre sa situation et celle de Fatma et rappeler son simple statut d’intermédiaire, je reconnaît que d’autres choix sont plus questionnables.

L’imposition de l’anglais à Fatma lors des appels en est un bon représentant. Il semble difficile de justifier une telle exigence de la réalisatrice alors que la communication est déjà largement entravée par les problèmes de réseau et autres bugs. Farsi parle et comprend l’arabe mais refuse la commodité de le parler à son interlocutrice qui peine à s’exprimer en anglais.

Qui sait à quel point le témoignage de Fatma Hassouna aurait pu regorger de richesses si cette dernière s’était exprimée dans sa langue natale ?

Put your soul on your hand and walk, réalisé par Sepideh Farsi, sorti le 24 septembre 2025

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